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Juridictionnaire
précaire / précairement / précarisation / précarité
- Dans l’usage courant, l’adjectif précaire qualifie une situation ou une position mal assurée, un état incertain, une influence passagère, éphémère, une chose fragile. Application (jurisprudentielle), argument (juridique), caractère (d’un droit), classification (initiale), conclusion (de fait), droit, échafaudage (de règles), entente (temporaire), entreprise (hâtive), équilibre (des parties), état (d’un système juridique), fondement (jurisprudentiel), motif (de jugement), statut (de citoyen canadien) précaire.
- En droit, cet adjectif se dit de ce qui se trouve soumis à la volonté ou au bon plaisir d’autrui. Dans le droit des biens, aussi bien en régime civiliste qu’en common law, la détention est nécessairement précaire puisque, par définition, elle est subordonnée à la volonté ou au plaisir du propriétaire du bien détenu, le détenteur étant lié par une obligation de restitution. Tout titre qui oblige son détenteur à le restituer à son propriétaire légitime à un certain moment – à la fin de la période convenue de la détention le plus souvent – est dit précaire en raison de cette obligation de restitution. La situation du détenteur du titre est précaire puisqu’il doit remettre le titre au terme de la durée de la détention. « Est précaire le titre qui oblige le détenteur à restituer la chose à son propriétaire. » « Est détenteur précaire celui qui – en vertu de son titre – doit restituer (à un moment ou à un autre) la chose à son propriétaire. »
En ce sens, il est permis d’affirmer que, tout détenteur étant un détenteur précaire, ces deux termes sont des synonymes; la qualification ne vient que renforcer l’idée d’obligation de restitution implicite dans le vocable détention.
- La précarité est l’attribut de la détention. Elle se dit à propos de cette réalité juridique. Elle atteint le titre de la détention, elle le fragilise en raison de l’obligation de restitution. Les notions de précarité et de fragilité s’associent dans l’esprit quand il est question de détention précaire. « Fragilité du titre, la précarité est la particularité du titre qui oblige à restitution. » La précarité s’applique aussi bien à la situation dans laquelle se trouvent placés l’emprunteur, le séquestre, le dépositaire, le créancier gagiste, l’administrateur d’un bien sous tutelle, le transporteur : tous sont des détenteurs précaires (par distinction d’avec le possesseur et le propriétaire), étant tenus de restituer le titre ou le bien que le propriétaire leur a confié. C’est ainsi qu’on dit que « l’obligation de restitution caractérise la précarité de la détention. » « Un titre précaire peut être interverti au moyen d’un titre émanant d’un tiers ou d’un acte du détenteur inconciliable avec la précarité. » Précarité du droit d’usage.
Le détenteur précaire se trouve dans une situation de précarité renforcée dans le seul cas où il doit effectuer la restitution sur ordre ou au gré du propriétaire. Par exemple, l’emprunteur n’est pas touché, affecté, atteint par cette précarité puisqu’il doit remettre le bien à une date certaine. Il n’en reste pas moins un détenteur précaire puisqu’il est tenu à une obligation de restitution. Faire cesser la précarité à l’égard du détenteur précaire.
- Il ne faut pas confondre détention précaire et possession, comme il arrive fréquemment tant dans l’usage courant que dans le vocabulaire juridique. « Ceux qui possèdent [il eût fallu dire qui détiennent] pour autrui ne prescrivent jamais par quelque laps de temps que ce soit. » « Souvent on donne à tort aux détenteurs le nom de possesseurs précaires ou de possesseurs à titre précaire. »
En reprenant l’essentiel des articles 2192 et 2194 du Code civil du Bas-Canada, le législateur québécois a bien pris garde de ne parler dans le Code civil de possession qu’au sens exclusif de la possession juridique, alors qu’auparavant il était employé pour désigner la possession qualifiée de naturelle ou de précaire. Ce code emploie désormais le mot détention.
- En common law, la possession précaire ("permissive possession") a un tout autre sens. Elle se dit de l’occupation d’un bien réel par une personne qui n’est pas un invité ("invitee"), mais qui profite du consentement ou de la tolérance du propriétaire, ou de la personne qui a droit à la possession, tel le cas de l’occupation d’un terrain par un permissionnaire ("licensee").
- En droit civil, la jouissance précaire s’entend de la situation dans laquelle se trouve un détenteur qui, avant de devoir remettre le bien qu’il détient, en jouit pour un certain temps. Puisque cette jouissance n’a pas de caractère permanent, on la qualifie de précaire. Il y a jouissance précaire dans le cas, notamment, d’une personne protégée dans ses biens qui les confie à l’administration d’une autre personne en attendant que cesse, par exemple, la tutelle ou qu’elle atteigne la majorité. Conventions 1 et 2 de jouissance précaire en cas de tutelle. « Le pouvoir d’administrer les biens sous tutelle ne permet que des conventions de jouissance précaire, lesquelles cessent d’avoir effet de plein droit dès le retour du moyen protégé. »
En common law, le terme se prend en une acception différente dans le droit des biens. La jouissance précaire ("permissive enjoyment") se conçoit par rapport aux diverses formes de jouissance d’un bien réel : elle est précaire parce qu’elle dépend d’une autorisation qui ne revêt pas de caractère permanent et que le propriétaire peut retirer à son gré.
- Dans le domaine du droit social et du droit du travail, les juristes se servent des notions de travail précaire, d’emploi précaire et d’entrepreneur précaire pour mettre en lumière les rapports nouveaux qui unissent le travailleur à son emploi et évoquer les nouvelles réalités économiques que constituent la précarisation du travail, entendue au sens de phénomène par lequel, par suite de la mutation du monde du travail et de la mondialisation des échanges, se fragilisent progressivement le lien d’emploi et les protections dont il était traditionnellement assorti, et la précarisation du statut d’employé consécutive à une redéfinition par les législateurs des concepts de salarié et d’entrepreneur. La situation juridique du travailleur autonome risque de l’enfermer dans un univers sans maître, au sein d’une microentreprise sans ressources. La question est de savoir si les entreprises profiteront de la redéfinition des termes salarié et entrepreneur pour se libérer de leurs liens d’emploi et transformer des employés en entrepreneurs précaires. « Ne pourrait-on pas profiter des nouvelles notions du Code civil pour transformer systématiquement des salariés en ’entrepreneurs précaires’, garder sur eux tous les contrôles économiques souhaités tout en se débarassant des contraintes légales et, par la même occasion, de certains coûts sociaux reliés au contrat de travail? »
En ce sens, le salarié, considéré dans certaines situations comme un travailleur autonome ou indépendant, devient un entrepreneur précaire du fait de sa vulnérabilité et de son appauvrissement au regard des risques occasionnés tant par l’incertitude du travail et la menace du non-emploi que par la nécessité de la prise en charge personnelle des avantages sociaux qu’assure le contrat d’emploi.
- Le droit précaire ("precarious right") est celui dont on jouit selon le bon vouloir de son titulaire légitime, droit qu’il peut révoquer à tout moment. De même en est-il du prêt précaire ("precarious loan") dont l’objet peut être réclamé au gré du prêteur : c’est dans cette sujétion à la volonté d’autrui que la précarité prend tout son sens. Du point de vue du prêteur et dans une autre acception, le prêt est dit précaire parce qu’il risque, pour quelque raison, de ne jamais être remboursé; dans le cas particulier du prêt d’une somme d’argent, le prêt précaire est consenti à un débiteur qui risque de disparaître ou de faire faillite, ce qui constituera, au regard de la comptabilité et de la gestion financière, une créance irrécouvrable.
- L’adverbe précairement modifie tout verbe, participe ou adjectif marquant la précarité d’une détention ou d’un acte. Est détenu précairement ce qu’on détient à titre précaire. « Le fermier, le dépositaire, l’usufruitier et tous autres qui détiennent précairement la chose du propriétaire ne peuvent la prescrire. »
© Centre de traduction et de terminologie juridiques (CTTJ), Faculté de droit, Université de Moncton