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L’un des nombreux écueils qu’affronte la rédaction juridique consiste à éviter d’employer incorrectement les deux locutions adverbiales temporelles à tout moment et en tout temps. Elles ne sont pas synonymes et on commet une erreur en considérant qu’elles sont interchangeables.
La difficulté pourrait s’expliquer par le fait que, dans une acception, à tout moment et en tout temps signifient sans cesse.
La distinction entre ces deux locutions est simple à établir; pourtant, il est facile de relever cette difficulté, même chez les meilleurs auteurs et dans des textes par ailleurs d’une bonne tenue.
Dans les deux exemples ci-dessous tirés du Code civil du Québec, on ne peut évidemment remplacer en tout temps par l’adverbe toujours, aussi est-ce à tout moment qui convient. « Le liquidateur peut, en tout temps (= à tout moment) et de l’agrément de tous les héritiers, rendre compte à l’amiable. » (article 821) « Cette demande peut être faite en tout temps (= à tout moment), même avant l’assemblée. » (article 1105)
La locution à tout moment est bien employée dans les deux exemples suivants : « Les décisions qui concernent les enfants peuvent être révisées à tout moment(= à quelque moment que ce soit) par le tribunal, si les circonstances le justifient. » (article 612) « Celui qui n’a pas rétracté son consentement dans les trente jours peut, à tout moment avant l’ordonnance de placement, s’adresser au tribunal en vue d’obtenir la restitution de l’enfant. » (article 558).
La locution en tout temps est bien employée dans les deux exemples suivants : « Ces obligations survivent pendant un délai raisonnable après cessation du contrat, et survivent en tout temps lorsque l’information réfère à la réputation et à la vie privée d’autrui. » (article 2088). On eût mieux dit, plutôt que [réfère], se rapporte à, concerne, fait état, a trait, porte sur, renvoie à, mais c’est là une autre difficulté. « Le locateur peut en tout temps reloger le locataire qui occupe un logement d’une catégorie autre que celle à laquelle il aurait droit dans un logement approprié, s’il donne un avis de trois mois. » (article 1990). On eût mieux dit, plutôt qu’avis, préavis.
Puisque en tout temps signifie toujours, il est correct d’écrire, comme à l’article 1995 : « Le locataire d’un logement à loyer modique (…) peut (…) en tout temps résilier le bail en donnant un avis (= un préavis) de trois mois au locateur. »
Toutefois, on ne peut pas écrire, comme variante à la locution en tout temps : « L’apport du commanditaire, lorsque cet apport consiste en une somme d’argent ou en un autre bien, est fourni lors de la constitution du fonds commun ou en tout autre temps, comme apport additionnel à ce fonds. » (article 2240). Il eût fallu dire ici : à tout autre moment.
C’est commettre un anglicisme locutionnel que de dire [en aucun temps] plutôt qu’à aucun moment, comme à l’article 1761 du même code. « L’enchérisseur ne peut en aucun temps (= à aucun moment) retirer son enchère. »
L’adjectif indéfini aucun ayant une valeur négative sous l’influence de la négation ne, l’emploi de la locution en aucun temps, vieillie dans un contexte à valeur positive, devient une locution calquée de l’anglais "in any time" ou "at no time".
La mise en évidence de la locution par inversion au début de la phrase permet de faire ressortir l’idée de temps lorsque la notion de faculté est absente. Ainsi écrira-t-on, comme à l’article 496 du même code : « À tout moment de l’instance en séparation de corps, il entre dans la mission du tribunal de conseiller les époux. » « En tout temps ces obligations survivent pendant tout délai suffisant. ».
Il convient de faire observer ici que le groupe de mots à tout moment au cours de l’instance peut avantageusement être remplacé par la locution juridique en tout état de cause.
© Centre de traduction et de terminologie juridiques (CTTJ), Faculté de droit, Université de Moncton